J’ai mis mon nez dans Blender 2.8, et on ne m’avait pas menti: par bien des côtés, c’est carrément un autre logiciel que Blender 2.79.
L’interface (qui, il faut bien l’admettre, a toujours été une abomination) a été revue sur quantité d’aspects, et généralement de façon pertinente: l’usine à gaz bordélique est devenue une usine à gaz bien rangée… mais ça ne change rien au fait que tout le savoir-faire que vous aviez pu développer pour vous orienter dans le bordel devient du jour au lendemain obsolète.
OK, c’est pour notre bien… mais il faut quand même être conscient que ça a une conséquence épouvantable: TOUS les tutoriels disponibles sur le web et YouTube deviennent aux trois quarts obsolètes eux aussi, et donc chaque fois que vous vous direz « oh, merde, je vais pas y passer six mois, en posant poliment ma question à Google je vais bien finir par savoir où est caché ce foutu réglage qu’il faut absolument que je modifie »… eh bien, faites comme à l’entrée de l’Enfer de Dante: abandonnez toute espérance: si, vous allez bel et bien devoir vous retaper au minimum minimorum des journées entières d’apprentissage, et pour certains réglages, ces journées entières seront des semaines entières, et pour certains autres ces semaines entières seront des mois entiers; au terme desquels, n’en doutez pas, Blender accouchera d’une version 2.9, ou 3.0… qui vous forcera une fois de plus à passer des journées, des semaines et des mois à retrouver vos repères.
En plus, il n’y a pas que l’interface qui a été revue: les moteurs de rendu aussi, et de fond en comble. Très bon côté des choses: les bugs d’affichage insupportables que j’avais dénoncés ici ont pour la plupart disparu. Très mauvais côté des choses: tous les réglages minutieux que vous aviez pu mettre au point jusqu’à la version 2.79… sont inadaptés à la version 2.8, et vous allez devoir retravailler TOUS vos éclairages. Oui, TOUS — sauf à continuer de travailler avec la version 2.79 jusqu’à ce qu’elle plante parce qu’elle ne sera plus maintenue; désastre sans doute lointain, mais inéluctable.
Les nouveaux moteurs de rendu sont beaucoup, beaucoup, beaucoup mieux que les précédents. Sur certaines vidéos de démonstration, c’est absolument bluffant. Mais il y a un mais… Des tas d’effets « moches mais lisibles » (en particulier sur les reflets et transparences) que vous aviez pu identifier par le passé… ont été remplacés par d’autres beaucoup moins moches mais 1) vous devrez vous retaper des tonnes de réglages; 2) ce sera beaucoup beaucoup plus beau, mais ça demandera peut-être, sur des scènes simples, des temps de réponse sensiblement moins enthousiasmants que par le passé. « Quand c’est mieux, ça coûte plus cher », disait ma grand-mère.
Et puis il y a des petites cochonneries inacceptables: les textures mises en place avec la version 2.79 ne sont plus en place avec la version 2.8, il faut les remettre (pourquoi? mystère); les scripts Python pouvaient être découpés en plusieurs modules, ils doivent désormais être d’un seul tenant; les convertisseurs X3D sont beaucoup moins élaborés qu’avant (ils paument les couleurs et les textures), et « c’est pas un bug, it’s a feature« : c’est complètement normal, ce n’était pas développé par l’équipe de Blender, c’était des contributions de bénévoles, donc à vous de leur demander de recommencer à bénévoler pour adapter à 2.8 le boulot qu’ils avaient fait pour les versions antérieures. J’ai tendance à trouver cette façon de faire un peu cavalière…
Le progrès consiste à remplacer ce qui ne marchait pas vraiment mal par ce qui ne marche pas vraiment bien… Et Blender progresse comme ça. On aime, on n’aime pas, mais faut faire avec — et dans x mois, quand vous devrez vous adapter à la version 2.9 ou à la 3.0, vous verrez que vous la regretterez, cette version 2.8 contre laquelle vous aviez pesté quand elle vous a forcé à abandonner la 2.79…
« If you can meet with Triumph and Disaster and treat those two impostors just the same », comme disait Kipling… alors vous aimerez Blender 2.8. Dans le cas contraire, je crois que les développeurs de Blender ne se donneront même pas la peine de vous sourire d’un air désolé. Blender, ça se mérite, voilà, et si t’es pas content, ça se mérite quand même.